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Enquête franceinfo Assemblée nationale : le Rassemblement national à la tête d’une commission "mains propres" très contestée

Avant même les révélations du Qatargate, les députés RN ont obtenu la création à l’Assemblée nationale d'une commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères à l’encontre des élus. Cette commission, présidée par Jean-Philippe Tanguy, inquiète des députés craignant qu'elle se transforme en tribunal.
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié
Temps de lecture : 12min
Le député Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy à l'Assemblée nationale, le 16 novembre 2022. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

L’enquête à Bruxelles sur des soupçons de corruption d’eurodéputés par le Qatar continue d’ébranler le Parlement européen. Les députés français sont-ils à l’abri de ces jeux d’influence ? Juste avant que ce scandale n’éclate, le groupe Rassemblement national a obtenu la création à l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête parlementaire sur les ingérences politiques de puissances étrangères visant les députés.

Quand les députés Jean‑Philippe Tanguy et Marine Le Pen enregistrent leur projet de résolution, ils n’anticipent pas l’ampleur et la profondeur du scandale de corruption qui va éclabousser le Parlement européen et amener de l’eau à leur moulin. Deux jours seulement avant l’arrestation de l’eurodéputée grecque Eva Kaili, l’Assemblée nationale a validé officiellement, début décembre, la création d’une commission d’enquête sur "les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français." Composée de 30 membres de tous les bords politiques, cette commission présidée par Jean‑Philippe Tanguy doit commencer ses travaux en janvier.

Des débats houleux entre députés 

Pour l’imposer, Marine le Pen et le groupe RN ont usé de leur “droit de tirage” qui permet une fois par an à chaque groupe parlementaire la création d’une commission d’enquête parlementaire. Plusieurs fois taxé d’avoir été sous influence russe par Emmanuel Macron durant la dernière campagne présidentielle, le Rassemblement national promet que “cette commission d’enquête s’intéressera naturellement aux réponses possibles pour éliminer les ingérences qu’elle aurait identifiées, écarter et punir les responsables mais aussi rénover nos institutions pour qu’elles soient capables de prévenir et d’empêcher de telles dérives”.

Avec cette commission, le Rassemblement national affirme vouloir établir s’il existe “des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques et cela dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national”. La Conférence des présidents qui a validé la création de cette commission a été le théâtre de débats particulièrement houleux entre députés. Nombre d’entre eux estiment qu’elle n’aurait jamais dû voir le jour. Ils dénoncent un périmètre d'enquête trop imprécis et trop large qui pourrait aboutir en pleine Assemblée à “l’Inquisition”, selon Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance ou “partir dans tous les sens et de donner lieu à des dérives“, pour Hervé Saulignac, député socialiste.

Un périmètre très large 


Derrière le risque d’une opération “mains propres” au cœur de l’Assemblée nationale, il y a la crainte très concrète que le Rassemblement national n’utilise cette commission pour tenter de dévoiler des affaires judiciaires pas forcément médiatisées impliquant des députés. Dans la résolution rédigée par son président, le RN Jean‑Philippe Tanguy écrit “la commission pourra être amenée à connaître de graves manquements, des délits voire de crimes qui devront immédiatement être confiés à la Justice.”

Cette menace n’est pas à prendre à la légère si l’on s’en réfère au courrier envoyé le 19 octobre dernier par le garde des Sceaux à la présidente de l’Assemblée. Appelé à donner son avis sur la création de cette commission, Éric Dupond-Moretti écrivait que “le périmètre de la commission d’enquête parlementaire est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours”

Courrier d'Eric Dupond-Moretti, le 19 octobre 2022. (DR)

L’article 139 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit en effet que les commissions d’enquête n’ont pas le droit de discuter d’affaires judiciaires en cours. Pour la députée socialiste Cécile Untermaier, cette commission grand angle sur l’ingérence étrangère au sein de l’Assemblée serait même inédite sous la Ve République. “C’est la première fois, dit la députée Nupes, que je vois une proposition de résolution dont le champ soit aussi large. Je plains le garde des Sceaux, qui a dû faire la liste des affaires judiciaires liées à 'des ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou à corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français'. Je ne vois pas comment il a pu répondre à cette question, sauf à embarquer tous les dossiers de la chancellerie

Contacté par franceinfo, le député RN Jean-Philippe Tanguy assume totalement. “Si cette commission fait peur à certains, lève des lièvres et révèle des faits nouveaux c’est tant mieux, estime-t-il. Depuis des années, les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale ne servent à rien. Elles ronronnent ! Nous allons travailler par régions d’influence. J’ai une idée très précise des sujets à aborder, y compris celui d’une prétendue ingérence russe sur notre famille politique.” 

Groupe d’amitié France-Qatar

Parmi les possibles vecteurs d’ingérences et d’influences étrangères cités à l’Assemblée nationale, les groupes d’amitié entre la France et des pays étrangers. Actualité oblige, franceinfo s’est penché sur le groupe d’amitié France-Qatar qui vient d’être renouvelé au prix d’une bataille feutrée entre groupes parlementaires. Depuis trois mandatures, c’est le groupe parlementaire UDI qui préside ce groupe d’amitié à l’Assemblée. Après Pascal Brindeau (ex-député UDI du Loir-et-Cher), c’est désormais Christophe Naegelen, député UDI des Vosges qui a repris la présidence de ce groupe très prisé, fort de 22 membres.

Contacté par franceinfo, Christophe Naegelen ne voit pas de raisons de douter de la probité des groupes d’amitié dont l’activité est largement contrôlée par le législateur. “Tous les cadeaux ou avantages en nature doivent être déclarés au déontologue de l’assemblée qui juge de la légalité ou de l'illégalité, rappelle Christophe Naegelen. Et le mieux d'ailleurs, c'est simplement de refuser ces cadeaux. Personnellement, je vais étudier le Qatar comme je peux étudier n’importe quel texte de loi. C'est à dire que je vais au fil des auditions et rencontres avoir les tenants et les aboutissants de ce qui se passe réellement aussi bien socialement qu'économiquement dans ce pays. Je vais bien entendu voir rapidement l'ambassadeur du Qatar en France, rencontrer des personnalités pro-régime ou des opposants au régime en place. C'est en rencontrant toutes les personnes, tous les groupes en relation avec le pays, qu’on fait vivre un groupe d'amitié”.

Quand on lui rappelle que le groupe d’amitié France-Qatar a fait l’objet par le passé de fortes suspicions et que l’affaire récente du parlement européen ou la délégation Europe-Moyen Orient a été l’un des possibles points de contact de la corruption, le député Christophe Naegelen s’étonne. “Le Parlement européen et le Parlement français, ce sont deux réalités totalement différentes. Personnellement, je suis chef d’entreprise et je gagne très bien ma vie. Je n’ai pas de tentations”, dit celui qui a présidé auparavant le groupe France-Colombie. Fort de 22 membres, le groupe d’amitié France-Qatar compte des députés de tout bord. Parmi ses nouveaux arrivants, Damien Abad (Renaissance) ou Hélène Laporte (RN). 

Le député Christophe Naegelen à l'Assemblée nationale le 23 octobre 2018 (AURELIEN MORISSARD / MAXPPP)


L’article 80-1-2 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que les députés déclarent au déontologue dans un délai d’un mois tout don, invitation à un événement sportif ou culturel ou avantage d’une valeur excédant 150 euros, et les invitations à des voyages dans le cadre de leur mandat. Ces déclarations sont publiques et disponibles sur le site de l’Assemblée nationale. Interrogé sur le contrôle de ces groupes d’amitié, le déontologue de l’Assemblée Christophe Pallez explique que “tout député, s'il omet de faire ses déclarations est en contravention par rapport au code de déontologie et par rapport au règlement de l'Assemblée, est passible de sanctions par le bureau de l'Assemblée. Des sanctions pouvant aller du rappel à l'ordre à l'exclusion temporaire."

"Les groupes d'amitié sont extrêmement encadrés par le bureau de l'Assemblée qui en fixe la liste, qui attribue les présidences de groupes et décide aussi de leurs déplacements officiels."

Christophe Pallez, déontologue

franceinfo

"Si un groupe d'amitié agit en dehors des missions pour lesquelles il a eu l'autorisation officielle du bureau, rappelle Christophe Pallez, on sort du cadre habituel. On est dans un domaine qui relève non plus de la déontologie mais clairement de la justice. Il y a des jeux d'influence qui peuvent émaner d'États étrangers ou de représentants d'intérêts agissant en France. Un député se trouve confronté nécessairement à des personnes qui représentent des intérêts pas tout à fait légitimes. C'est précisément pour cela qu'un cadre déontologique a été bâti à l'Assemblée nationale et plus généralement dans la législation française".

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